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Chaque mois nous partageons dans nos newsletters un court texte commandé aux auteurs et autrices complices des Tréteaux de France. Nous les invitons à poser leur regard sur le monde aujourd’hui et mettre l’enfance au cœur de leurs récits.

Avril 2024

Sylvain Levey

« Y’a mieux à faire c’est évident » dit l’enfant. 

« Y’a tellement de choses à voir. Le monde est tellement grand. Y’a à catcher le monde et le hasard. Y’a mieux à faire que d’écouter la haine qui sort comme de la morve par les trous de nez. Y’a à planter des arbres et faire pousser des radis ». 

« Y’a vraiment mieux à faire » insiste l’enfant. 

« Y’a à lire tous les livres de la bibliothèque municipale. Y’a à apprendre la trompette et le banjo. Y’a qu’à faire une grande parade, une fanfare pour la joie. Y’a mieux à faire que d’avoir peur de l’autre. Y’a mieux à faire que de mettre des clôtures autour de sa maison ».

« Y’a mieux à faire que d’espérer le pire » répète encore et encore l’enfant. 

« Y’a à démolir les murs, les visibles et invisibles qui font qu’il y aura toujours deux clans. Y’a tellement plus chouette. Y’a les western spaghettis, les sauts de l’ange dans la piscine et le spectacle qui vit. Y’a le spectacle dans la rue si tu veux vraiment le voir. Y’a les doigts plein d’encre. Y’a le soleil qui brille pour celui ou celle qui se fout des nuages ».

« Y’a mieux à faire c’est évident » crie l’enfant du haut de la colline.

L’enfant est face au vent et les voix des enfants parviennent difficilement aux grands de ce monde qui ont les oreilles toutes petites mais l’enfant est malin et courageux et se dit qu’il a encore une chance, il sort de sa poche un papier et hurle au monde le poème qu’il a écrit.


Mars 2024

Gwendoline Soublin

Ce matin je me pschiit
Trois petits pschiit de sent-bon

À l'école, hier, un grand m'a reniflé
Tu pues, il a dit, ton père il pue
Toute ta famille elle pue, c'est l'infection
Ils ont tous rigolé
J'ai demandé à Gabriela de me sniffer
Tu pues un peu
J'ai bien vu dans ses yeux que je puais beaucoup

Ce matin je me savonne à gogo sous la douche
Je planque le parfum de maman dans mon cartable
Pendant la récré, discrétos, je me re-pschiit aux toilettes
Les grands rigolent
Oulalah, mais tu sens la femmelette, toi !
T'es transexuel ou quoi ?
Oh le pédé !
Me touche pas, obsédé !

Quand je rentre de l'école j'ai mal au ventre
Dehors le ciel n'a aucune limite
Maman m'appelle
Gabin, viens vite !
Je viens
Et dans la télé je le vois
Juché sur son tracteur puant
Entouré de ses collègues puants
Il parle haut et clair aux journalistes
Il déroule une banderole
Stoppe les voitures sur l'autoroute
Et on l'applaudit
Et le foin vole
Ça me mouille les yeux

Le lendemain à l'école je ne me pschiit pas
Non
Je suis puant
Super puant
Archi puant
J'empuantis l'univers
et je suis fier
de puer la bouse et la vache et le lisier et le soleil et
l'odeur de mon père.


Février 2024

Marjorie Fabre

Semaine olympique à l’école de la Dernière Chance. La compet’, les records, les podiums, les médailles, d’accord. Mais alors aussi – avec les copains, c’était notre idée – une course de la lose. Pas de chrono, pas de style, tu cours tu gagnes. Une course pour la sprinteuse qui aura tout donné et finira dernière, pour le nageur au bas du podium à quelques centièmes près, à ces espoirs fous, ces élans magnifiques, à ces noms à peine prononcés tout de suite oubliés.

CROWN – Les coureuses et les coureurs entrent sur la piste. Ambiance survoltée dans le stade, la foule acclame ses champions, ses championnes !

Elle, au micro, c’est Crown. Faut toujours qu’elle en fasse trop. Mais c’est vrai qu’on prenait ça au sérieux. Quand on s’est aligné pour le départ avec Box, Blue, Later et Doggie, crois-moi, on faisait pas les malins. Cette course était la nôtre.

Un gars plus grand que les autres s’est planté au milieu de la piste avec son drapeau en l’air et son sifflet. À côté de moi, Box serrait fort son dossard contre lui, les épingles dans son dos ne voulaient pas tenir. Blue, elle, pour une fois, regardait droit devant, un regard qui perçait l’horizon.

CROWN – À vos marques.  Prêtes ? Prêts ? 

Comme jamais.
Au fait, moi c’est Noa mais tout le monde m’appelle Fail.
Sifflet.


Janvier 2024

Catherine Verlaguet

LE GRAND - Bouge pas. Qu’est-ce que t’as dans les poches ? Qu’est-ce que tu fais ?
LE PETIT - Je plante des noyaux d’olives.
L G - Tu seras mort avant que ça ait poussé -  si ça pousse.
L P - C’est pour les enfants du pays de demain.
L G - Y’a plus de pays. T’as regardé autour de toi ? Je vais te dire, moi, ce que tu ne vois pas : l’hôpital qui a sauté, les écoles qui ont fermé, le port avec les bateaux qui faisaient entrer et sortir les marchandises...
L P - Il faut tout réinventer.
L G - Où est-ce que tu les as volés, ces noyaux ?
L P - Je les ai pas volées. J’échange contre des trucs que j’ai.
L G - T’as pas une tête à avoir quoique ce soit.
L P - J’ai des histoires à raconter.
L G - Des histoires ?
L P - Tu veux que je t’en raconte une ?
L G - Ça sert à rien les histoires.
L P - Tout ne sert à rien avec toi.
L G - C’est la guerre.
L P - Leur guerre.
L G - On n’a plus rien à nous. On survit grâce à ce que le reste du monde veut bien nous donner. On est des réfugiés sur notre propre terre. À quoi ça sert, d’imaginer ?
L P - Parce que tout est à réimaginer. Moi j’ai pas envie d’être un réfugié. Moi je suis un citoyen qui pense, qui imagine, qui construit. Tout ce qui existe a d’abord été imaginé.
L G - Et t’imagine quoi, là, avec tes noyaux ?
L P - Une forêt.


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